Enseignements et règlements de comptes
rideau
lord mountbatten
retour de Dieppe, 1942

Quels étaient donc ces enseignements ? D'abord, la démonstration venait d'être faite qu'il ne faudrait plus jamais attaquer un port directement : on s'en souviendra, le 6 juin 1944, quand on débarquera à Utah Beach pour investir Cherbourg vingt jours plus tard ; ou quand on débarquera sur la plage de Ver-sur-Mer pour s'emparer de Port-en-Bessin par l'arrière. Ensuite, l'idée d'apporter un port dans ses bagages : Arromanches est ainsi en germe. Et surtout, le bon tour joué aux Allemands qui entreprendront de renforcer les défenses portuaires et leurs garnisons en ne laissant sur les plages, où Overlord finalement se jouera, qu'un mince cordon de troupes.
Autre leçon : à l'assaut, où l'homme a la priorité, sera substitué l'assaut où le matériel sera déterminant ; les funnies de la 79e Armoured, les barges d'artillerie, la préparation d'artillerie navale sur les batteries côtières, les pilonnages de l'aviation sur les blockhaus du 6 juin, épargneront le sang humain. Les pertes en vies humaines du 6 juin 1944 (un peu plus de 3 000 hommes sur 80 kilomètres de front) seront, pour 155 000 soldats engagés, toutes proportions gardées, moindres que celles subies le 19 août 1942 sur 20 kilomètres d'assaut.
Sans l'expérience acquise à Dieppe, affirmera le général Crerar, qui commandera en Normandie la Ire armée canadienne, les bases pour la conception et l'exécution de la plus grande et de la mieux réalisée des opérations combinées de tous les temps auraient fait défaut. Quant au chef des Opérations Combinées, il n'aura aucun doute. Dans mon esprit, la bataille de Normandie a été gagnée sur les plages de Dieppe. La France doit sa libération aux leçons essentielles que nous avons tirées du raid de Dieppe.

L'heure des règlements de comptes va sonner. Critiques et reproches vont pleuvoir. Sur la conduite de l'opération, certes : sans bombardement aérien préalable, sans commandement unifié, sans parachutages sur les arrières.
Critique particulièrement vive : l'assaut frontal. Que Montgomery, qui avait pourtant travaillé quatre mois au projet, et que le sort de la guerre a éloigné, huit jours avant Dieppe, vers le commandement de la VIIIe armée dans le désert, récusera en ces termes : Je crois que nous aurions pu obtenir les renseignements dont nous avions besoin sans perdre autant de magnifiques soldats canadiens.
Pourtant, lord Louis Mountbatten, qui n'a pas mené l'opération Jubilee, comme beaucoup le croient, mais qui l'a conçue, laissant son exécution au général Crerar, commandant les forces canadiennes en Grande-Bretagne, et au général Roberts, commandant la 2e division d'infanterie canadienne, ne reviendra jamais sur ses conclusions; et d'interview en interview, de commémoration en commémoration, d'allocution en allocution, il ne cessera de répéter : « Dieppe, un jalon indispensable sur la route qui devait mener à la victoire. » Et dont les premiers enseignements s'appliqueront à l'imminent débarquement en Afrique du Nord, l'opération Torch.

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Les canadiens à Dieppe